''J’aime penser que Kassia est venue à moi. Elle est apparue lors d’une discussion avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, qui m’avait proposé de travailler autour d’une œuvre symphonique. J’avais envie de convoquer une compositrice. ''

Cette nouvelle pièce s’appuie sur la figure de Kassia, ou Cassienne, de Constantinople, qui était religieuse, poétesse, musicienne et compositrice du IXe siècle. Comment avez-vous découvert cette artiste ?
J’aime penser que Kassia est venue à moi. Elle est apparue lors d’une discussion avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, qui m’avait proposé de travailler autour d’une œuvre symphonique. J’avais envie de convoquer une compositrice et en faisant quelques recherches sur Internet, je suis tombée sur Kassia, qui était présentée comme une des premières compositrices européennes, avant Hildegarde von Bingen. J’ai trouvé sa musique extraordinaire : ce sont des hymnes liturgiques aux saintes et aux martyres, chantées avec très peu d’instruments. Si cette musique n’était pas adaptée au projet philharmonique, Kassia est restée avec moi. Depuis, elle hante le studio, et aujourd’hui nous l’invoquons sur scène.
En quoi cette figure vous a parlée ?
J’ai trouvé le destin de cette femme incroyable. Kassia a choisi d’entrer dans la vie monastique pour pouvoir se consacrer à la création, comme l’ont fait de nombreuses femmes et personnes queer pour échapper au patriarcat et à ce qu’on attendait d’eux. Son engagement contre les persécutions iconoclastes lui vaut d’être fouettée, puis elle ouvre un couvent dont elle devint l’hygoumène, c’est-à-dire l’abbesse. Elle consacre ensuite sa vie à la composition. Vingt-trois de ses partitions nous sont parvenues, ce qui est exceptionnel. Si les femmes chantaient, elles signaient rarement les œuvres, car les scribes chargés de les retranscrire étaient des hommes. Ses hymnes, que je trouve magnifiques, mettent en avant des figures féminines, réelles ou imaginaires — comme Sainte Pélagie, actrice et prostituée, qui se travestit en homme et finit sa vie en ermite.
Vous aimez plonger dans les archives pour créer. Comment se sont déroulées les recherches de Kassia Undead ?
N’étant pas du tout spécialiste de cette période, le début de mes recherches a été une plongée vertigineuse. Contrairement à ma précédente pièce sur la danseuse Ida Rubinstein, IDA don’t cry me love, où j’ai consulté quelques livrets à la Bibliothèque nationale de France, Kassia de Constantinople m’a obligé à explorer dans tout un pan de l’Histoire. J’ai alors contacté l’historienne Brunella Danna Allegrini, spécialiste de l'art médiéval du IXᵉ siècle, avec qui je suis restée en conversation pour créer la pièce. Je suis entrée avec elle dans l’histoire de Byzance, endroit de friction entre l'Orient et l'Occident, lieu de passage à la frontière entre l'Europe, l'Asie, l'Afrique. C'est un lieu perméable, d’échanges, qui correspond aussi à une période de paix. Dès que les frontières deviennent plus figées, on voit que lesterrains sont plus propices aux guerres.

Cette nouvelle pièce s’appuie sur la figure de Kassia, ou Cassienne, de Constantinople, qui était religieuse, poétesse, musicienne et compositrice du IXe siècle. Comment avez-vous découvert cette artiste ?
J’aime penser que Kassia est venue à moi. Elle est apparue lors d’une discussion avec l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, qui m’avait proposé de travailler autour d’une œuvre symphonique. J’avais envie de convoquer une compositrice et en faisant quelques recherches sur Internet, je suis tombée sur Kassia, qui était présentée comme une des premières compositrices européennes, avant Hildegarde von Bingen. J’ai trouvé sa musique extraordinaire : ce sont des hymnes liturgiques aux saintes et aux martyres, chantées avec très peu d’instruments. Si cette musique n’était pas adaptée au projet philharmonique, Kassia est restée avec moi. Depuis, elle hante le studio, et aujourd’hui nous l’invoquons sur scène.
En quoi cette figure vous a parlée ?
J’ai trouvé le destin de cette femme incroyable. Kassia a choisi d’entrer dans la vie monastique pour pouvoir se consacrer à la création, comme l’ont fait de nombreuses femmes et personnes queer pour échapper au patriarcat et à ce qu’on attendait d’eux. Son engagement contre les persécutions iconoclastes lui vaut d’être fouettée, puis elle ouvre un couvent dont elle devint l’hygoumène, c’est-à-dire l’abbesse. Elle consacre ensuite sa vie à la composition. Vingt-trois de ses partitions nous sont parvenues, ce qui est exceptionnel. Si les femmes chantaient, elles signaient rarement les œuvres, car les scribes chargés de les retranscrire étaient des hommes. Ses hymnes, que je trouve magnifiques, mettent en avant des figures féminines, réelles ou imaginaires — comme Sainte Pélagie, actrice et prostituée, qui se travestit en homme et finit sa vie en ermite.
Vous aimez plonger dans les archives pour créer. Comment se sont déroulées les recherches de Kassia Undead ?
N’étant pas du tout spécialiste de cette période, le début de mes recherches a été une plongée vertigineuse. Contrairement à ma précédente pièce sur la danseuse Ida Rubinstein, IDA don’t cry me love, où j’ai consulté quelques livrets à la Bibliothèque nationale de France, Kassia de Constantinople m’a obligé à explorer dans tout un pan de l’Histoire. J’ai alors contacté l’historienne Brunella Danna Allegrini, spécialiste de l'art médiéval du IXᵉ siècle, avec qui je suis restée en conversation pour créer la pièce. Je suis entrée avec elle dans l’histoire de Byzance, endroit de friction entre l'Orient et l'Occident, lieu de passage à la frontière entre l'Europe, l'Asie, l'Afrique. C'est un lieu perméable, d’échanges, qui correspond aussi à une période de paix. Dès que les frontières deviennent plus figées, on voit que lesterrains sont plus propices aux guerres.

Vos créations convoquent souvent des figures féminines historiques, comme Ida Rubinstein ou Bronislava Nijinska. Quelle place occupent-elles dans votre travail ?
Je ne sais pas si je vais vers ces femmes ou si elles viennent à moi, mais je suis perpétuellement surprise de les retrouver. C’est fou ! J'aime ces histoires de fantômes qui resurgissent. Sont-elles là pour résister ou juste pour réveiller les curiosités oubliées ? S’imposent-elles pour répondre à mon besoin de trouver mes héroïnes ? Kassia Undead, fait écho aux fantômes et aux morts vivants : nous essayons d’invoquer Kassia, de la fairerevenir avec nous. C’est aussi une manière d’interroger comment, en tant qu’interprètes, nous sommes porteurs de nos propres fantômes.
Pour Kassia Undead, vous êtes entourée d’une diversité d’interprètes, qui dansent et chantent. Pouvez-vous présenter cette équipe ?
Il y a huit interprètes sur scène, beaucoup sont à la fois chanteurs et danseurs. J’ai déjà collaboré avec certains, comme Marta Capaccioli, qui danse dans tous mes projets depuis IDA don’t cry me love, Cate Hortl, qui est compositrice dans La Grande Nymphe, et Emma Laroche, notre régisseuse générale en charge de la lumière. Il y a aussi Tarek Halaby, qui a été interprète pour Martin Zimmerman et la compagnie Rosas ; Agnès Potié, qui a travaillé avec Flora Detraz et Maguy Marin ; Aymara Parola, qui a dansé pour Wim Vandekeybus ; la musicienne Klara Verkin et la chanteuse lyrique Els Mondelaers, qui a travaillé avec Benjamin Abel Meirhaeghe notamment. J’ai aussi fait appel aux Ateliers Indigo, qui rassemblent plusieurs artistes à la perception alternative. Ils ont réalisé plusieurs tentures inspirées de l’univers médiéval, qui constituent la scénographie du spectacle.
Quelles danses et quels chants déployez-vous pour faire revenir Kassia ?
On essaie de la réveiller avec des danses macabres et des pas inspirés de la gestuelle grotesque du Moyen Âge. À partir de ces éléments, des iconographies médiévales et des chants de Kassia, nous avons recréé une nouvelle iconographie et une nouvelle gestuelle, inventée au fil d’improvisations. Elles prennent ensuite la forme de tableaux vivants qui se métamorphosent. L’univers de l’horreur, des fantômes et des morts-vivants, est aussi présent : nous avons travaillé à partir de vieilles photos qui sont censées capturer des spectres, mais aussi des mouvements en slow motion, pour figurer le retour de Kassia d’outre-tombe. Nous créons à travers cette pièce un folklore qui nous est propre, nourri de fictions et de fabulations. Dans cette cérémonie, j’invoque des femmes oubliées en prononçant leurs noms, pour qu’elles nous accompagnent, nous soignent et nous portent. Mais Kassia viendra-t-elle ? C’est toujours incertain. J’aime jouer avec cette attente et ce doute à chaque représentation.